‘Les fleurs sont reposantes à regarder, elles n’ont ni émotions ni conflits’ (Freud)
Il n’y a plus de doute maintenant à ce sujet : prendre soin de l’Homme passe par prendre soin de la Terre. Soigner la Terre guérit l’Homme. Et si la sagesse ancestrale était intuitivement consciente de ce fait, les études scientifiques actuelles vont également dans ce sens.
Dès les années 1800 des institutions psychiatriques nord-américaines utilisent les travaux de jardinage dans leurs programmes de soin. Puis en 1914-1918 et 1940-1945, le jardinage thérapeutique est un des outils pour le traitement des blessés de guerre. Toutefois depuis plusieurs siècles déjà, dans les monastères et les établissements de soins, les jardins sont utilisés comme support de traitement. Dès le XVIIIème siècle, on remarque que les patients pauvres, participant aux travaux de jardinage des terres de l’hôpital pour payer leurs soins, récupèrent plus rapidement et guérissent plus souvent que les patients aisés les regardant travailler depuis leur chambre.
Un jardin à visée thérapeutique est donc bien plus qu’un espace vert. Il est conçu pour avoir un impact bénéfique sur les fonctions cognitives, les capacités physiques, les praxies (ensemble de mouvements coordonnés en fonction d’un but), les habilités sociales et la qualité de vie de ceux qui le fréquentent. Il constitue aussi un espace de vie et de liberté pour les personnes fragilisées résidentes d’institutions de soins et de repos.
De nombreux types de fragilités peuvent trouver au jardin un remède alternatif et complémentaire. Citons ici quelques publics pouvant tirer bénéfice d’un tel environnement.
Les personnes âgées tout d’abord, dont la validité et l’autonomie diminuent et qui sont souvent sujettes à l’isolement social, retrouvent une motivation pour l’exercice physique et une occasion de sociabiliser à nouveau. Le jardinage et l’utilisation du jardin et de ses sentiers mobilisent le corps entier, travaillent l’équilibre postural et entretiennent des capacités psychomotrices.
Les malades d’Alzheimer, eux aussi, au contact du jardin et de ses sensations, trouvent une stimulation de leurs sens, de leurs capacités cognitives et de repérage spatio-temporel ainsi que de leur mémoire ancienne. Le cadre apaisant et sécurisé du jardin de soin permet de faire face plus facilement aux comportements violents ou déments.
Dans le cas des personnes autistes et cérébraux-lésées, les jardins adaptés et sécurisants aident au développement d’interactions au sein du groupe.
Le jardin thérapeutique offre également la possibilité de fixer des projets, des objectifs atteignables et la satisfaction de réalisations abouties aux personnes en rééducation nécessitant un travail physique et pour qui le mental joue un rôle important dans le rétablissement et l’acceptation.
Enfin la ‘discipline’ que peut nécessiter le soin d’un jardin, permet aux personnes souffrant d’addictions et de dé-sociabilisation de se réapproprier les règles sociales et professionnelles, sans objectif de rentabilité.
Nous pourrions encore parler de l’exceptionnel terrain d’explorations que représente un jardin pour les enfants des écoles et de tant d’autres bienfaits.
De façon générale, pour beaucoup de personnes fragilisées, le jardin et le fait de s’en occuper ont un impact sur la stimulation émotionnelle et la régulation de l’humeur. On observe chez les jardiniers et les utilisateurs de l’espace une réduction des troubles comportementaux et des symptômes de la dépression. Un meilleur sommeil, moins de stress et de nervosité, dans certains cas, permettent même de diminuer la prise de médicaments notamment neuroleptiques et antidépresseurs.
Plus qu’un paysage admiré depuis une baie vitrée, ou un espace de promenade (ce qui n’est déjà pas mal), le jardin de soin, dès sa conception, implique donc la participation des résidents qui sont invités selon leurs capacités et leurs goûts, dans le cadre d’ateliers, à prendre des décisions, à planifier des tâches et à les accomplir, à collaborer, à partager leurs connaissances… De ce fait, parmi de nombreux bienfaits psychiques et physiques, il offre une occasion de renforcer l’estime de soi. Support d’activités signifiantes, il donne entre autres au ‘soigné’ l’opportunité et la dignité de ‘prendre soin’ et de collaborer avec le personnel soignant. Ceci constitue une assise précieuse pour les actions d’éducation thérapeutique.
Pensé et créé selon un mode participatif, un jardin de soin efficient est le fruit de la réflexion conjointe des résidents (et de leurs proches), de leurs thérapeutes, des bénévoles et des personnes (paysagistes professionnels ou amateurs éclairés) aptes à ‘mettre en musique’ de façon non seulement efficace et sécurisante mais aussi esthétique et durable les moyens de répondre aux besoins particuliers de ceux à qui il s’adresse.
La réussite d’un jardin de soin, son occupation et sa survie dans le temps dépendront beaucoup du fait qu’il ait été réalisé en tenant compte non seulement de l’espace disponible mais aussi des spécificités des personnes amenées à le fréquenter. C’est ainsi que l’on peut distinguer plusieurs grands types de jardins qui peuvent se combiner à l’infini : le jardin de rééducation, avec des parcours adaptés, pour stimuler les fonctions motrices et le déplacement ; le jardin occupationnel, pour mener une activité physique, avec une responsabilité, adéquat pour la réinsertion comme pour le soin d’addictions ; le jardin intergénérationnel, adapté à la collaboration entre personnes d’âges divers – enfants et personnes âgées ; le jardin de méditation, pour s’asseoir, observer, écouter, ressentir… ; le jardin atelier, élaboré comme un support pour des ateliers de mémoire, de création, de cuisine, d’exercice physique…
L’idée à l’origine de ce projet est que l’usage des terrains en tant que terres agricoles peut et devrait faire partie intégrante de nos vies urbaines. Pourquoi devrait-on sacrifier de si grands espaces et tant d’eau à la création de vastes pelouses dans les parcs publics et les campus ? Les rizières et les champs de blé peuvent se montrer tout aussi attractifs (voire plus poétique lorsqu’ils ondulent dans le vent) tout en étant productifs et en nécessitant moins d’entretien. Les cultures sont en outre de bons abris pour les oiseaux et toute une petite faune sauvage et la fréquentation des champs ouvre la conscience des étudiants sur l’origine de leur subsistance.
Et bien entendu, le soin de la personne perdrait une partie de son sens s’il n’était pas aussi tenu compte du soin de la nature. C’est pourquoi dans la mesure du possible un jardin de soin est pensé selon les principes de la permaculture.
Les ‘jardins de prendre-soin’ reflètent la diversité de leurs usages et des communautés vivantes auxquelles ils s’adressent. Ils représentent des espaces au sein desquels ‘les êtres les plus fragiles ne sont ni écrasés ni méprisés, où les humains restent sensibles au monde et au vivant, des espaces d’échanges, partagés et communautaires, … où le prendre-soin de l’humain et le prendre-soin de la nature sont un seul et même prendre-soin’ (Jérôme Pellisier in Jardins thérapeutiques et hortithérapie).