Après vous avoir présenté Fernando Caruncho, j’aimerais aujourd’hui vous parler de Gilles Clément dont l’univers naturaliste et poétique est bien différent.
Ce jardinier, paysagiste et enseignant, né en 1943 dans l’Indre (France) est également l’auteur d’une œuvre à la fois théorique et littéraire à travers laquelle il développe plusieurs concepts élaborés à la faveur d’une observation attentive et d’une pratique concrète du paysage naturel et des espèces qui s’y développent. Sa curiosité sans limite, ses voyages à travers la planète, son œil éveillé et « la comparaison des lieux que l’homme habite et dans lesquels il construit à chaque fois un rapport au monde, une cosmologie, un jardin » ont nourri une philosophie qui a marqué durablement la vision contemporaine du paysage.
Parmi les concepts les plus populaires développés par Gilles Clément nous pouvons citer les notions de « jardin en mouvement », « jardin planétaire », et de « Tiers paysage ». A travers ces thèmes l’enseignant rappelle qu’un paysage naturel n’est jamais figé et suggère aux jardiniers de faire confiance à la nature lui laissant en quelque sorte le « champ libre ». « Le jardinier interprète au quotidien les inventions de la vie » et « …on ne peut concevoir le rôle du paysagiste cantonné à la seule construction formelle ou fonctionnelle de l’espace en faisant abstraction de la dimension biologique, à moins d’en faire un simple designer, ce qu’il n’est pas. »
Je vous propose d’explorer brièvement ici chacun de ces trois thèmes.
« Le jardin en mouvement » est le titre du livre dans lequel Gilles Clément décrit l’expérience qu’il a menée depuis 1977 dans son propre jardin « La Vallée » dans la Creuse (France). Ayant acquis un terrain en friche colonisé par de nombreux végétaux, le jardinier a, dans un premier temps, observé la dynamique naturelle des interactions entre les plantes. Conscient de ces « énergies en présence – croissance, luttes, déplacements, échanges » il a cherché à « les tourner à son meilleur usage sans en altérer la richesse ». « Faire le plus possible avec, le moins possible contre » devient alors sa devise.
Les espèces se déplacent naturellement sur le terrain par semis spontanés ou grâces à leurs rhizomes, tubercules, bulbes, etc…) et dans l’esprit du « jardin en mouvement » le travail du jardinier consiste à canaliser (sans pour autant la contrôler entièrement) la concurrence entre les végétaux. « Le dessin du jardin, changeant au fil du temps, dépend de celui qui entretient, il ne résulte pas d’une conception d’atelier sur les tables de dessin ». Par cette gestion, le jardin ne reste pas figé dans un dessin initial mais se modifie de saison en saison, d’année en année.
L’observation attentive du comportement de chaque plante permet de mieux en exploiter les capacités naturelles et pour maintenir et accroitre la diversité biologique il est bon que le jardinier « maintienne et accroisse la qualité biologique des substrats (eau, terre, air) et intervienne avec la plus grande économie de moyens, limitant les intrants, les dépenses d’eau, le passage des machines. »
Le Jardin d’eau et d’orties créé à Melle (France) en 2007 est un jardin de résistance qui fait référence à la nécessité de traiter les eaux polluées et d’instruire un programme de gestion agricole respectueux de l’environnement. L’équilibre biologique des eaux y est rétabli et maintenu grâce à un système de lagunage planté de végétaux aquatiques dont les racines filtrent naturellement l’eau.
Le Jardin d’Orties met en œuvre « l’usage horticole de l’ortie utilisé en jardinage biologique sous la forme de purin d’orties pour renforcer l’immunité des végétaux en évitant les traitements ». Le purin récolté dans le jardin est distribué gratuitement sur le marché local.
Après avoir mis en œuvre le concept de jardin en mouvement dans sa propriété, Gilles Clément l’a exploré dans divers lieux publics dont le Jardin André-Citroën à Paris (1992) et le Jardin de l’Arbre Ballon à Bruxelles, le parc Matisse à Lille.
Avec l’idée de « jardin planétaire » Gilles Clément pointe le fait que la Terre considérée en tant que jardin est un espace clos et fini spatialement et volumétriquement, dans lequel les espèces évoluent. L’Homme est responsable du bon équilibre de ce jardin dans toutes ses composantes – de la zone cultivée à la friche. Il est chargé de maintenir l’équilibre et la complémentarité entre elles.
Le Tiers paysage recouvre pour Gilles Clément l’ensemble des espaces négligés ou inexploités. « Fragment indécidé du Jardin Planétaire,… , la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature ». Ces espaces, « friches, marais, landes, tourbières, bords de route, rives, talus de voies ferrées,…. » bien plus que les zones sylvicoles ou agricoles, présentent une richesse de biodiversité floristique et faunistique.
Illustrant cette notion, dans l’aménagement du parc Henri-Matisse à Lille, le paysagiste a préservé une zone de non intervention : l’île Derborence. Sur un socle de béton de 7 mètres de haut, une plantation d’arbres inaccessible reste livrée à elle-même.
Tandis que son intervention sur l’ancienne base de Saint-Nazaire, vise à rendre palpable et visible cette colonisation spontanée végétale de lieux abandonnés par l’activité humaine.
Je retiens de l’enseignement de G. Clément combien il est primordial dans la composition du paysage de travailler à partir du vivant, de composer avec lui et de s’y soumettre autant sinon plus qu’on ne le soumet. Les graines germent là où le hasard les portent et où elles trouvent les conditions les plus favorables à leur développement. L’observation attentive et patiente de la générosité et de l’ingéniosité de la nature est l’atout principal de celui qui prétend organiser le paysage. La préservation et l’amélioration des équilibres écosystémiques est son premier devoir.